OLYMPE AUTOUR DU MONDE

AÇORES – BRETAGNE NORD

Ou le retour au pays

On pourrait aussi titrer "la dernière ligne droite" ou encore "la dernière étape du voyage", chacun de ces titres laissant transparaître la nostalgie et la tristesse liée à la fin de cette belle aventure ; pour autant, nous sommes heureux de rentrer, retrouver famille et amis quittés depuis si longtemps. Et puis ces derniers temps, même si nous avions apprécié les dernières escales et particulièrement les Açores, nous commencions presque à ressentir un sournois phénomène de lassitude. Oh, bien sûr, rien de bien fort ni évident, nous aurions pu continuer à découvrir le monde, mais sans doute pas au même rythme ; sans doute qu'inconsciemment l'approche du retour modifiait-elle nos priorités. C'est aussi probablement pour cela que cette dernière étape a été pour nous particulièrement difficile ; pas sur le plan du moral comme nous le redoutions initialement, mais sur le plan physique et mental. Elle nous aura paru interminable et, il faut bien l'admettre, nos organismes fatigués par le marathon de cette dernière année (il y a juste un an nous arrivions en Australie…) nous ont rappelé qu'ils existaient et qu'il fallait aussi les ménager un peu. On n'a plus vingt ans ! Mais nous reviendrons sur ces aspects dans un chapitre que nous consacrerons à la rentrée aux différents bilans de ce voyage, statistique, technique et humain.

Une traversée sans histoire

C'est donc le 11 juillet 2012 que nous avons décidé de quitter l'île de Terceira et les Açores ; nous avions en effet annoncé un retour à Saint-Cast pour le 21 juillet afin que ceux qui souhaitaient venir nous y accueillir puissent s'organiser. Cette date était toutefois bien entendu liée à des conditions météo acceptables, il n'aurait pas été question en effet de prendre des risques inconsidérés pour respecter "à tout prix" cette date du retour. Mais il s'avérait que les prévisions météo devenaient favorables, avec une douzaine d'heures sans vent puis un vent de sud-ouest tournant progressivement à l'ouest nord-ouest. Il fallait simplement faire attention à ne pas se faire prendre dans le centre de l'énorme anticyclone des Açores qui se déplaçait en s'étalant vers le nord-est, ce qui aurait pu nous valoir un à deux jours de moteur pour nous en extraire.

Cette date tenait compte en outre d'une marge de sécurité nous permettant de réguler l'allure ou de nous poser quelque part pour être à l'heure à notre rendez-vous ! 1252 milles nautiques devaient être parcourus ce qui en moyenne nous prend 8 jours et demi ; nous avions donc une journée et demie de "rab".

Après nos dernières formalités de sortie dont le captain va finir par avoir la nostalgie (!), nous larguons les amarres de la marina d'Angra do Heroismo, sans doute l'une de nos meilleures escales culturelles. Il est 11h30 et le temps est au beau fixe : grand soleil, mer calme et température de 28°C que nous n'avions encore jamais connue depuis notre arrivée aux Açores. L'anticyclone est bien là avec une pression atmosphérique de 1031,6 hpa.

Il nous faudra d'abord longer la côte sud de l'île, admirant côté mer ce que nous avions vu lors de notre tour de l'île en voiture : les îles Cabras issues d'un seul îlot coupé en deux par un séisme, la pointe das Contendas avec son phare et dont nous découvrions les falaises aux couleurs ocre, grise et noire que nous n'avions pu voir de terre.

Nous apercevions aussi pour la dernière fois cette campagne luxuriante avec ses champs découpés en parcelles jusqu'au sommet de certaines proéminences de terrain.

Une fois tournée la pointe sud-est, nous longerons la côte est jusqu'à hauteur de Praia da Vitória avant de prendre une direction nord nord-est un peu au nord de notre route à destination de notre prochain way-point situé à l'ouest de Ouessant pour aller chercher du vent. Le temps est splendide, pas un nuage dans le ciel et pas une ride sur l'eau; comme prévu, c'est au moteur que nous démarrons cette traversée.

Il en sera ainsi jusqu'à 3h30 du matin suivant où notre petit détour nous permettra de prendre une petite brise de l'arrière ; nous tangonnons alors le génois sur bâbord et mettons la grand-voile en ciseaux. Au point du matin, 160 milles ont été parcourus mais nous ne nous sommes rapprochés de notre destination finale que de 145 milles compte tenu de notre détour vers le nord.

Mais en cette seconde journée, changement de décor : le ciel est d'un gris uniforme et la température en chute libre ; en milieu de matinée, on se retrouve dans les nuages et le brouillard, voilà quatre années que nous n'avions pas connu ça ! Comme pour nous en persuader, nous croisons un cargo de près que nous avions repéré au radar mais que nous n'avons aperçu qu'au dernier moment à moins d'un mille, sirène de brume hurlante.

Si la première journée avait été bonne à tout point de vue, cette première nuit nous avait littéralement lessivés ; pendant les deux jours suivants, ce sont deux zombies qui se relaieront pour leur quart respectif !

Au point du 13, 168 milles ont été parcourus sur les dernières 24 heures, le vent s'étant renforcé ; mais ce jour était aussi celui de l'anniversaire du captain et Maryse avait trouvé la force de faire un repas amélioré, sans oublier la surprise qu'elle lui avait réservée en lui offrant une statuette sur laquelle il avait lorgné à Belém…Bien joué et grand merci.

En fin de journée, comme prévu, le vent vire à l'ouest puis au sud-ouest nous obligeant à détangonner puis à régler une allure de près bon plein qui durera jusqu'au lendemain soir.

14 juillet, jour de la fête nationale, le temps se lèvera et nous commencerons à revoir un peu de ciel bleu ; la forme n'est toujours pas revenue mais on fait contre mauvaise fortune bon cœur ; 165 nouveaux milles sont effectués et, après trois jours de mer, il ne reste plus que 779 milles à parcourir. Pendant son quart, le captain apercevra une tâche brune devant le bateau ; il aura juste le temps de dévier sa route pour voir passer le long du bordé bâbord un phoque se prélassant tranquillement sur le dos à la surface de l'eau. Il ne semblait pas avoir bougé le moins du monde !

Mais le vent a baissé et nos performances s'en ressentent : 135 milles seulement parcourus sur l'eau, 126 sur le fond relevés le 15 au matin. On est juste sur le 45ème parallèle nord, un peu au dessus de Bordeaux. Le vent retourne au sud-ouest et nous permet de retangonner le génois sur bâbord, grand-voile en ciseaux ; le vent n'est pas violent mais est remonté entre 12 et 16 nœuds, nous permettant d'avancer entre 5,5 et 6,5 nœuds ce qui est suffisant pour assurer l'arrivée dans les temps. Par contre, il devient assez compromis de penser pouvoir s'arrêter aux îles Scilly comme nous l'avions pensé. Peut-être à Brest pour la semaine des grands voiliers ou dans l'Aber Wrac'h ? On verra plus tard.

Le temps est redevenu beau et la forme de l'équipage revient ; le rythme des journées et des quarts n'a jamais été aussi difficile à prendre. En fin d'après-midi, le vent tournant un peu, nous empannerons avant la nuit pour placer le génois tangonné sur tribord et la grand-voile en ciseaux sur bâbord.

La nuit se passera ainsi tranquille, le vent étant d'une grande régularité. L'équipage a retrouvé enfin son rythme et les petits déjeuners se font copieux. Sur le GPS, le temps pour atteindre l'arrivée devenant inférieur à 100 heures s'est affiché pendant la nuit : ça commence à sentir l'écurie !

Au point du 16, 145 milles ont été parcourus mais, au cours de la journée, le vent va progressivement baisser pour descendre sous les 10 nœuds ; par vent arrière c'est un peu jeune et, le soir à 18h, le vent descendant sous les 8 nœuds, nous décidons de mettre le moteur pour conserver notre marge de sécurité. La nuit se passera ainsi avec maintenant une humidité importante générant une forte rosée sur le pont et une température de 16°C. Le ciel est clair, la mer un peu houleuse, les quarts se tiennent à l'intérieur en surveillant le radar et en montant sur le pont tous les quarts d'heure.

Nous conserverons le moteur durant 24 heures avant de remettre les voiles ; 146 milles sont parcourus au point du 17 juillet, puis 151 le 18. Nous sommes maintenant sur le plateau continental et notre route passe au sud des rails de navigation de Ouessant. Ce n'est pas forcément astucieux car, au lieu d'être bien alignés en file indienne dans les rails, les bateaux montants convergent vers le rail montant tandis que les bateaux descendant s'éparpillent au sud du rail descendant. Ils sont donc répartis dans une zone bien plus vaste et ce sont parfois six à sept bateaux de commerce avec des directions différentes que nous devons gérer simultanément avec le radar.

La nuit du 18 au 19 sera donc très occupée ; ce sera pratiquement une nuit blanche pour nous deux pour à la fois gérer le trafic mais aussi bénéficier du spectacle de cette approche des côtes bretonnes parmi une multitude de phares d'atterrissage et de signalisation de dangers comme nous n'en n'avons vu nulle part ailleurs. Le phare de Créac'h sur l'île de Ouessant qui passe pour être le plus puissant du monde éclairera le pont d'Olympe à chacun de ses éclats, deux toutes les dix secondes, à plus de trente milles de distance.

Nous passerons dans les remous des courants à un mille de l'île, attentifs et émerveillés par le spectacle. Puis nous apercevrons vite les éclats du phare de l'île Vierge après les abers ; nous aurons une pensée pour Joël et Patricia rencontrés à La Réunion qui habitent à Landeda dans l'Aber Wrac'h. Mais de nuit, sans connaissance des lieux et avec des prévisions météo indiquant une chute prochaine du vent, nous avons préféré continuer.

Au point du 19 matin, nous avons parcouru 160 milles mais nous avons maintenant le courant de marée contraire qui ralentit notre progression ; entre l'île de Batz et les 7 îles, nous aurons jusqu'à 3 nœuds de courant contraire ! Nous progressons néanmoins à 5 nœuds sur le fonds et, petit à petit, le courant s'inversera avec la marée pour nous permettre d'accélérer franchement au niveau du phare des Héaux de Bréhat puis de virer par le nord de l'île de Bréhat pour entrer dans la baie de St-Brieuc ; nous sommes en effet en avance sur les prévisions et décidons d'aller nous poser dans la marina de Saint-Quay Portrieux jusqu'au 21 matin. C'est alors à 12,9 nœuds sur le fonds que nous slalomerons entre les hauts fonds de Bréhat : jouissif mais interdit de se planter si près de l'arrivée !

C'est à 17h, heure du bord, 19h heure locale que nous nous amarrerons sur le ponton visiteurs de ce qui était la seule marina en eau profonde de la Bretagne nord avant la construction de celle de Saint-Cast qui nous attendait. Nous étions de retour en métropole et Olympe semblait avoir eu des ailes en retrouvant le pays ! Quant à nous deux, nous étions très émus tout en sachant que le surlendemain, l'épreuve sur ce plan allait être beaucoup plus rude…

Nous venions de boucler 1267 milles depuis les Açores et retrouvions la beauté des paysages bretons qui valent bien tout ce que nous avons pu découvrir au cours de ces quatre années. Et puis, comble de bonheur, nous avions attiré l'anticyclone avec nous et le temps était magnifique !

Une courte escale de circonstance

Nous profiterons le lendemain de cette dernière escale imprévue pour nous promener sur la côte par le chemin des douaniers ; ça peut paraître idiot mais nous avions presque oublié la beauté de ces paysages changeants avec la marée, ces belles plages de sable blond (dont Maryse prélèvera un échantillon, si, si!), ces rochers aux teintes brunes et ocres, le cri des mouettes et des goélands résonnants sur les roches et les odeurs d'iode et de pins qui vous montent à la tête, ranimant du plus profond de nous-mêmes cette mémoire olfactive qui, paraît-il, est la plus vivace.

Nous aurons aussi la surprise de recevoir un appel de Michel et Martine, nos fidèles équipiers de Lyon, qui étaient venus passer une semaine à la manifestation du Tonnerre de Brest sur un bateau de location, ce rassemblement incroyable de voiliers venus du monde entier. Ils étaient sur la route du retour et s'arrêtèrent à St-Quay pour passer la soirée avec nous, toujours aussi joyeuse et sympathique. Ils nous confirmèrent qu'ils seraient le lendemain à Saint-Cast pour notre arrivée…Sur le plan émotionnel, ça promettait d'être fort !

Les derniers milles et un piratage

Samedi 21 juillet, jour théorique du retour "à la maison", nous larguâmes les amarres à 8h30 du port de Saint-Quay pour les 27 derniers milles de notre périple ; nous ne parlons pas beaucoup, chacun ressentant ces sentiments contradictoires de bonheur d'avoir réussi à revenir, à ramener Olympe à bon port et de retrouver ceux qui nous sont chers, mais aussi de tristesse et déjà de nostalgie de penser que tout était maintenant derrière nous, que l'aventure se terminait dans quelques heures.

Le vent est léger, de nord nord-ouest mais nous permet d'avancer entre 4 et 5 nœuds les premières heures à l'étale de la marée. Le temps est magnifique et nous goûtons ces derniers moments de bonheur. Puis le jusant succède au flot et le courant de marée devient contraire, d'abord faible, 0,3 à 0,4 nœuds, puis forcissant progressivement jusqu'à 2,5 nœuds ; pour respecter l'heure d'arrivée, nous soutenons au moteur.

Déjà la pointe caractéristique du Cap Fréhel se découpe au loin sur l'horizon ; nous passerons entre le Grand Léjon et le petit Léjon situés au centre de la baie de St-Brieuc, atteindrons le cap d'Erquy, la capitale de la coquille Saint-Jacques, avant de longer de loin la côte que nous connaissons si bien : la plage de Sables d'Or les Pins où nous habitons, puis celle du Vieux-Bourg où le captain a appris à marcher et où il a passé toutes ses vacances d'enfance, deux mois par an avec ses grands-parents et ses parents. Que de souvenirs surgirent à la vue de ces côtes magnifiques ! Pourquoi ressentir un tel attachement à cette terre, à ses racines ?

Puis ce sera l'approche de ce cap mythique pour nous, le Cap Fréhel, éperon de grès rose de 70 mètres de hauteur flanqué de son puissant phare d'atterrage de la côte nord à l'ouest de la baie de Saint-Malo et couvert d'ajoncs et de bruyères en fleurs. C'est à ce moment que nous verrons surgir le voilier de Gérard et Marie-Paule venus à notre rencontre à grands coups de sirène de brume, puis, plus loin, le "Vieux Gui" avec à son bord Jean-Claude, Jean et leur ami propriétaire.

Le cap une fois passé, nous traversons l'anse de Sévigné pour atteindre le fameux Fort Lalatte montant fièrement la garde à l'entrée de la baie de la Fresnaie. Et c'est à ce moment que nous serons poursuivis par un zodiac de pirates voulant manifestement nous arraisonner ! Nous avions échappé aux pirates des Caraïbes, de la Colombie, de l'océan Indien et voilà que nous étions attaqués chez nous, en Bretagne, à quelques milles du port ! Mais il s'agissait de pirates bien sympathiques, de nos quatre enfants venus à notre rencontre à bord du Zodiac de Gérard et qui montèrent à bord après que nous ayons ralenti l'allure. Vous imaginez aisément les effusions de joie !

Il nous restait alors à contourner la pointe de Saint-Cast ; nous hissâmes les 26 drapeaux des pays visités que nous avions préparés, rentrâmes les voiles et nous dirigeâmes vers l'entrée de la marina toute neuve, nouveau port d'attache d'Olympe.

De loin nous aperçûmes un attroupement sur le ponton d'accueil des visiteurs et entendîmes sonner binious et bombardes du bagad de Saint-Cast venu pour l'occasion. Nous avions eu beau nous préparer à ce qui pouvait nous attendre, c'est la gorge serrée et les yeux humides que nous lançâmes les amarres à quai, avec dix minutes de retard !

Tous les équipiers occasionnels d'Olympe au cours de ce tour du monde étaient là, famille et amis étaient venus parfois de très loin, même le papa du captain, 88 ans, qui avait suivi notre périple sur internet jour après jour depuis quatre ans, avait tenu à être présent malgré un récent séjour à l'hôpital en région parisienne. Je crois que l'on ne s'est jamais senti aussi proche qu'en cet instant…Nous découvrions aussi Maxence, notre cinquième petit-fils, que nous ne connaissions pas encore. A toutes et à tous un grand merci pour votre soutien et votre présence.

Le temps était de la partie, un soleil radieux illuminant cette journée inoubliable. Nous venions de boucler notre 38 944ème mille, le voyage était fini, nous étions de retour à la maison.

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