OLYMPE AUTOUR DU MONDE

Antilles (St-Martin) - Colombie (Carthagène)

C'est décidé, nous n'avons plus le temps d'aller sur Cuba qui mérite mieux qu'une escale de quelques jours. On aurait pu envisager alors de piquer sur les îles néerlandaises ABC (pour Aruba, Bonnaire et Curaçao) au nord du Vénézuela, mais l'attrait touristique de ces îles n'est pas évident. Nous avons en fait retenu une escale qui nous rapproche de Panama et qui offre l'avantage de nous faire visiter l'une des plus belle ville de l'Amérique du Sud : Cartagena de Indias en Colombie, autrement dit Carthagène.

Cette ville cumule plus de cinq siècles d'histoire, depuis sa fondation en 1533 par les premiers conquistadores espagnols.

Mais voilà, cette ville est située en Colombie! Et pour Maryse,

Colombie = Pirates + Farcs.

Ce qu'elle ne sait pas encore, c'est qu'au deuxième membre de cette équation, il faut encore rajouter le cap des tempêtes : il s'agit du cap de Santa Marta, situé à l'Est de Carthagène, appelé ici le Cap Horn colombien. Un sommet d'une branche de la Cordillère des Andes culmine à plus de 5 000 mètres d'altitude à quelques dizaines de kilomètres seulement de la côte, provoquant fréquemment des perturbations atmosphériques très violentes et imprévisibles conduisant à des vents soudains de plus de 50 nœuds et à une mer qui se transforme vite en enfer. Le nombre de bateaux coulés à cet endroit est considérable.

Il faudra donc que le captain use de toute sa persuasion, mais surtout de la réalité des statistiques pour la convaincre de partir : les Farcs ne sévissent qu'à l'intérieur du pays dans la jungle inextricable; les pirates ne sont finalement pas plus nombreux qu'ailleurs comme en attestent les dernières statistiques de 2009 : un seul cas recensé; la surveillance des coastguards américains commence à porter ses fruits. Quant au cap de Santa Marta, les prévisions météorologiques ne sont hélas d'aucun secours sauf pour indiquer qu'en passant suffisamment loin des côtes (au moins à 100 km), on évite le pire et on diminue simultanément le risque de piratage. Dans le tracé de la route, le captain positionnera donc un way-point à 50 milles des côtes au large du cap Santa Marta avant d'obliquer sud-ouest puis sud vers Carthagène.

Mardi 17 mars, 12h40, nous levons l'ancre de la baie de Marigot à Saint-Martin après avoir préparé les tangons car la navigation va se faire au portant, entre le petit largue et le grand largue. La météo prévoit des vents de 15 à 20 nœuds, ce qui est idéal pour une navigation tranquille et rapide, se renforçant à 20-25 nœuds au nord et à l'ouest de la Colombie. La route théorique telle que tracée est de 901 milles à effectuer et devrait être avalée en 6 jours.

C'est en effet une navigation très agréable que nous ferons, Maryse y prenant un réel plaisir; elle avait pris par trois fois son comprimé de Stugéron lors de la première journée et elle ne ressentit pas le mal de mer de toute la traversée. Dès l'extrémité Ouest de Saint-Martin franchie, cap au 234°; nous nous retrouvâmes au grand largue, génois tangonné sur tribord et grand-voile en ciseaux. Avec une deuxième voile d'avant également tangonnée grand-voile rentrée, on devait améliorer la vitesse. Le captain sort alors du coffre le gennaker, et se dirige vers le davier bâbord pour gréer son point d'amure. Seulement voilà, le davier a été endommagé au mouillage de Marigot et le captain avait complètement zappé qu'il servait également de fixation du gennaker! Ne voulant pas prendre le risque d'aggraver les dégâts, il rentra le gennaker dans le coffre aussi vite qu'il l'en avait sorti…

Mais le vent compatissant accepta de tourner de travers; plus question de tangon, on se repositionne classiquement avec génois, grand-voile et artimon pour une vitesse qui oscille aussitôt entre 7 et 8 nœuds.

Vers 17h, le vent retournant un peu, on lofera de 10° pour reprendre du vent dans les voiles, ce qui nous permettra de passer notre première nuit dans cette configuration.

18 mars 7h, à l'attaque du deuxième jour, le vent faiblit de force 5 à force 4; on hisse en plus le foc d'artimon. Au point journalier, nous aurons parcouru 150 milles nautiques les premières 24h. On est dans la moyenne. Vers 18 heures en fin d'après-midi, le vent baisse encore à force 3 et tourne vers l'est sud-est nous obligeant à monter en cap au 262°, à rentrer l'artimon et son foc, à tangonner le génois sur bâbord et mettre la grand-voile en ciseaux.

Durant le quart de nuit de Maryse, un oiseau exténué viendra se poser sur la bôme d'artimon où il restera trois bonnes heures avant de repartir vers d'autres horizons pendant le quart suivant du captain. Les quarts étaient organisés de la manière suivante :

20h-23h Maryse,
23h-2h JP
2h-5h Maryse
5h-8h JP

Au point journalier du 19 mars, la distance parcourue ne fut que de 137 milles, résultat de la baisse du vent, et sur une route plus nord que prévu pour éviter trop de changements de voilure pendant la nuit.

Ce n'est que le matin suivant vers 6h30 que nous croisâmes nos deux premiers cargos dont l'un nous passa six milles devant l'étrave.

A 8h45, le vent adonne à nouveau force 5, nous permettant de reprendre notre cap au 238° en se repositionnant petit largue avec génois détangonné, grand-voile, artimon et foc d'artimon. La vitesse frôlera alors les 8 nœuds.

Au moment du point journalier, un grain sec nous tombe dessus avec 23 nœuds de vent et une vitesse du bateau grimpant à 9,9 nœuds. 175 milles nautiques sont parcourus les dernières 24h, une bonne moyenne qui grimpe conformément aux espérances et à la force du vent. Pendant le même temps, un gazier, le ELKA BENE, nous double à ¾ de milles sur notre bâbord.

17h30, nouveau bateau à 5 milles sur tribord; nous traversons manifestement la route de Panama; d'ailleurs pendant la nuit suivante, ce sont dix bateaux de transport divers qu'il faudra gérer. Pendant son quart de nuit, le captain bénéficiera de conditions de glisse parfaites entre 8,5 et 9,5 nœuds dans un confort total, le bateau ne bougeant pratiquement pas. Ceux qui ne naviguent pas ne peuvent pas comprendre le plaisir d'un marin à la barre d'un bateau parfaitement équilibré, surfant sur la houle avec pour seuls bruits le chuintement de l'eau sur la coque : ce sont pour des moments comme ceux-là que l'on accepte souvent des conditions plus difficiles.

A 8h 25 du matin du 21 mars, on apercevra d'abord une horde d'oiseaux marins survoler en tournoyant et en criant une zone située à l'avant bâbord du bateau puis, peu de temps après, un banc de dauphins en train de chasser sa nourriture, les oiseaux se contentant des restes : dure loi de la vie!
Jusqu'au point journalier, la vitesse restera élevée, toujours entre 8,5 et 9,2 nœuds, avec quelques surfs à 10,7 nœuds. C'est ainsi que nous aurons parcouru 181 milles nautiques dans les 24 dernières heures, un des meilleurs scores effectués depuis notre départ.

Puis vers 17h, le vent tournera à nouveau, nous obligeant à remettre génois tangonné et grand-voile en ciseaux. La vitesse tombera alors entre 7,5 et 8 nœuds. C'est sous cette allure que nous rejoindrons la baie de Carthagène dans la nuit du 22 au 23 mars, le vent tournant en même temps que nous en longeant la côte qui s'orientait sud-ouest. Le problème de l'arrivée de nuit était pratiquement insoluble, sauf à se mettre en panne quelques heures avant l'arrivée; mais la perspective d'être ainsi à l'arrêt et donc vulnérables non loin de la côte colombienne n'enchantait pas le captain, même si les statistiques des actes de piraterie étaient bonnes ces derniers mois! L'argument convainquit Maryse qui craignait l'arrivée de nuit dans un chenal long et tortueux.

Deux passages sont possibles pour atteindre la baie de Carthagène; le plus court, venant du nord, est de passer par Boca Grande, entre le sud de la presqu'île de Carthagène et le nord de l'île de Tierra Bomba; seulement voilà, pour se protéger de ces incorrigibles Anglais, les Espagnols construisirent sur toute la largeur du passage un mur sous-marin pour que les bateaux de sa Gracieuse Majesté viennent s'y fracasser; ce mur existe encore et il n'y a qu'une porte de quelques mètres de large pour permettre le passage de bateaux à faible tirant d'eau : 2 mètres à 2,5 mètres selon les documents; nous en faisons 2,1! Pas question de prendre le risque.

Il nous faut donc emprunter le chenal principal qui consiste à contourner l'île de Tierra Bomba par son Sud pour remonter sa côte Est de l'autre côté tout ce qu'on a descendu sur sa côte Ouest!

Long et tortueux fut le chenal en effet; arrivés à 1h30 devant la première bouée du chenal au sud de l'île Tierra Bomba, nous rentrâmes les voiles pour terminer au moteur les derniers 11,6 milles en sinuant entre les bouées lumineuses vertes et rouges parfaitement signalées et positionnées. Nos seuls moments de stress furent de croiser dans une partie étroite du chenal deux porte-conteneurs qui sortaient; il fallut raser la bouée rouge à tribord presque à la toucher pour ne passer qu'à une vingtaine de mètres des carcasses en acier de ces mastodontes.

A 4h40 heure antillaise, 3h40 heure locale, nous mouillâmes devant le club nautico de l'île Manga, quartier de la ville de Carthagène, heureux d'être arrivés et d'avoir passé de si bons moments en mer. Nous avions parcouru 930 milles nautiques à la moyenne de 7,5 nœuds.

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