OLYMPE AUTOUR DU MONDE

LE TOUR DE L'AFRIQUE DU SUD

Ou le passage du cap des tempêtes

L'enjeu du parcours

Puisqu'il faut bien rentrer à la maison (!!!), il faut donc bien dans un premier temps revenir dans l'Atlantique en passant par le fameux Cap des Tempêtes, comme le surnommaient les premiers navigateurs en route pour les Indes, nous voulons parler du Cap de Bonne Espérance, l'un des trois grands caps de la planète avec le Horn et Leuwin.

En fait, le Cap de Bonne Espérance a usurpé cette réputation au Cap des Aiguilles qui est le point le plus sud du continent africain et qui est la ligne de démarcation réelle entre l'océan Indien et l'océan Atlantique. Le Cap de Bonne Espérance est quant à lui situé en Atlantique à quelques 100 milles au nord-ouest de la pointe sud de l'Afrique.

Nous allons donc à nouveau changer d'océan, quitter cet océan Indien si inconfortable pour retrouver l'Atlantique que nous avons quitté mi-avril 2009, voilà bientôt trois ans.

Et le tourisme dans tout ça ? Ce n'est vraiment pas notre préoccupation du moment ; pour les raisons exposées ci-après, il s'agit en premier lieu d'assurer la sécurité de cette navigation et d'arriver à bon port. 

La problématique de ce parcours

Pourquoi parler de problématique quand il semble ne s'agir que d'une simple et tranquille croisière côtière, durant l'été austral de surcroit ?

Il y a plusieurs raisons à cela :

• La première, comme nous l'avons déjà signalé dans la relation sur la traversée La Réunion – Afrique du Sud, est liée à la présence du courant des Aiguilles qui descend le long de la côte est de l'Afrique en direction du sud-ouest et pouvant atteindre les 6 nœuds par endroit. Il est donc dans la bonne direction pour accélérer la descente, c'est le côté plutôt sympathique, la contrepartie étant qu'en cas de fort vent contraire, la mer devient en cet endroit très dangereuse pour les petits bateaux.

Et il se trouve justement que des vents contraires sont fréquents, se produisant aux passages des dépressions venant de l'Antarctique et remontant la côte africaine vers le nord-est. C'est, en cette saison, le cas tous les trois ou quatre jours. La lecture des instructions nautiques et des guides de navigation est à ce titre édifiante et alimente les conversations de ponton depuis bien longtemps déjà ! Et elle hantait le captain bien avant le départ de ce voyage :

"Un coup de vent de sud-ouest combiné au fort courant qui se dirige vers le sud-ouest peut générer des vagues géantes de 18 mètres de haut et même davantage".

Nous voilà donc prévenus!

• La seconde est liée au fait que la côte est inhospitalière et qu'il y a très peu d'abris en cours de route ; en partant de Richard's Bay, les étapes possibles sont :

o Durban, située à 90 milles, une formalité,
o East London, 250 milles plus loin, ce qui fait de cette étape la plus longue du parcours,
o Port Elizabeth, 120 milles plus loin ; c'est entre East London et Port Elizabeth que le courant est au meilleur de sa forme, à proximité du plateau continental et de la ligne de sonde des 200 mètres,
o Mossel Bay, 170 milles après,
o Cap Town ou Simon's Town encore 195 milles plus loin.

La tactique à adopter

Avoir en permanence une bonne prévision météorologique est donc primordial ; les guides, qui décidément aiment bien faire peur sur les conditions de navigation dans cette région, rajoutent d'ailleurs une troisième difficulté liée à la soudaineté des changements de temps qui seraient donc imprévisibles ; nous ne sommes pas tout à fait d'accord sur cette analyse car, même pour l'étape la plus longue, aidé par le courant des aiguilles, le temps de parcours est peu supérieur à 24 heures ; sur cette durée, les prévisions tiennent tout de même la route et s'il y a le moindre doute, on ne part pas ! C'est la raison pour laquelle nous étions plus inquiets d'effectuer la traversée La Réunion – Richard's Bay que d'entamer cette descente vers l'un des caps mythiques.

Ayant pris les prévisions météo les plus récentes, cela ne doit pas nous dispenser de surveiller le baromètre comme le lait sur le feu ! Il est conseillé de prendre la mer à la fin d'une dépression de sud-ouest lorsque le baromètre atteint les 1020 hpa. On a alors généralement un vent établi au nord-est. Lors de l'arrivée de la dépression suivante, le baromètre chute, généralement vite ; lorsqu'il a fini de baisser, le vent se calme et tombe complètement. Puis lorsque la pression commence à remonter, on a entre une heure et une heure et demie avant l'arrivée du coup de vent de sud-ouest : on doit alors IMPERATIVEMENT regagner le plateau continental en deçà de la ligne des 200 mètres où les vagues seront moins grosses et donc moins dangereuses.

Notre départ de Richard's Bay

Le mercredi 4 janvier, nous recevons enfin notre colis de France que nous attendions en vain depuis plus de deux semaines ; aussitôt nous prenons une prévision météo pour les jours suivants qui laisse entrevoir une belle opportunité le vendredi avec des isobares bien espacés synonymes de temps bien établi ; si cela se maintenait, on pourrait même "brûler" une ou deux étapes et gagner directement Port Elizabeth ! Seul bémol, le manque de vent prévu le premier jour, un comble dans cette région. Quant à la pression barométrique, elle n'est "que" de 1014,6 hpa mais avec un champ énorme de haute pression.

Bien entendu, le lendemain par deux fois et le vendredi matin nous reprendrons les prévisions les plus récentes qui confirmeront cette incroyable stabilité du temps si rare ici ; on se prend même à rêver de gagner directement Mossel Bay ! Voilà qui pourrait nous permettre de regagner un peu du temps perdu.

Le jeudi, nous effectuons les formalités de départ avec l'aide du Yacht Club qui nous transmet les documents à remplir qu'il enverra par télécopie aux autorités concernées ; nous devrons tout de même nous déplacer au service de l'immigration pour faire tamponner l'original de ce document. Sur celui-ci, nous avions à indiquer notre destination suivante (nous indiquerons East London ou Port Elizabeth) ainsi que le nom d'un proche à prévenir au cas où… Voilà qui met en confiance !

Vendredi matin, le bateau est techniquement prêt tout comme l'équipage dans sa tête. Fabien nous rend une première fois visite vers 8h pour nous donner un documentaire tourné à La Réunion sur l'école d'un îlet du cirque de Mafate et la vie au quotidien de l'institutrice qui ne met pas moins de trois heures et demie de marche le lundi matin pour rejoindre son école ! Il a entre temps un appel de Thierry du bateau Geronimo qui est à Durban et qui confirme qu'il va aussi profiter de ces conditions météo favorables pour gagner dans le sud, tout comme Chapter XI et 23 autres bateaux au départ de Durban ! Finalement, ça rassure de savoir qu'on n'est pas seul à avoir la même analyse du temps et qu'on ne sera donc pas seul sur l'eau.

Il reviendra à 9h45 nous aider à larguer les amarres que Maryse a préalablement passées en double pour simplifier la manœuvre après avoir installé comme à son habitude tout le gréement des tangons préparés et mis à poste. C'est finalement avec nostalgie que nous quitterons le Yacht Club de Richard's Bay que nous recommandons à tout navigateur de passage ici. Et ce n'est pas sans un petit pincement au cœur que nous fîmes nos adieux à Fabien.

C'est parti !

Nous gagnons le chenal principal d'accès au port avant de mettre en direction du sud sud-ouest pour gagner le plus rapidement possible la limite du plateau continental qui se trouve pratiquement à une vingtaine de milles de la côte à cet endroit ; plus au sud, la ligne de sonde des 200 mètres se rapprochera de la côte en restant bien parallèle à celle-ci. Comme prévu, il n'y a pratiquement pas de vent et c'est au moteur que nous effectuons ces premiers milles en passant entre les navires de commerce mouillés au large de la baie.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que le courant n'est pas très virulent ces premières heures ; en fin d'après-midi, on aura même droit à un léger contre-courant dans le nez ! C'est vers 18h30 qu'un immense banc de dauphins viendra accompagner Olympe pendant vingt bonnes minutes, se jouant de l'étrave du bateau et venant sauter à proximité. Il y en avait certainement plus d'une centaine se répartissant sur un quart de mille de part et d'autre de notre route.

C'est à une heure du matin que nous passerons au droit de Durban dont nous avions pu apercevoir les lueurs de la ville depuis plusieurs heures. C'est aussi à ce moment que le courant accélère enfin.

Ce sont quelques nuits de pleine lune qui vont nous accompagner, Maryse ayant la chance pendant son quart de 3h à 6h de faire de belles photos avec simultanément un beau clair de lune sur tribord et un lever de soleil sur bâbord.

139 milles seulement sont parcourus pendant les premières 24 heures, on ne force pas l'allure du moteur et restons en régime économique. La pression au baromètre est remontée conformément aux prévisions à 1015,9 hpa.

A 12h50 le 7 janvier, le vent se lève enfin et nous pouvons sortir les voiles pour une navigation bien plus agréable ; car la houle croisée de l'océan Indien est bien présente depuis le départ et, à la voile, le bateau roule moins. Une nouvelle prévision météo nous promet du vent d'est nord-est, pratiquement parallèle à la côte, de 13 à 15 nœuds, ce qui n'est pas violent pour une allure très portante, mais forcissant à 20 nœuds à partir du dimanche matin. Mais surtout, le courant sur cette portion est en forme : entre 3,8 et 4,2 nœuds ce qui permet d'allonger la foulée malgré une vitesse sur l'eau somme toute modeste autour de 6 nœuds.

Le résultat est cependant au rendez-vous lors du point journalier du dimanche 8 au matin, 238 milles auront été parcourus lors des dernières 24 heures, nouveau record du bateau, dans une eau très agitée. Mais la mauvaise nouvelle c'est que la réparation de fortune de la fixation de l'anémomètre en tête de mât aura tenu deux jours ! Nous n'avons donc plus d'indication ni de vitesse ni de direction du vent et le captain installe alors des bouts de laine sur les haubans, comme au bon vieux temps.

Au cours de cette journée, nous aurons dépassé un voilier situé un peu plus au large et, compte tenu de l'écart de vitesse, il ne devait sans doute pas bénéficier du même courant. Et puis, depuis le départ, nous fûmes surpris par le trafic maritime ; il est vrai que le cap de Bonne Espérance est situé sur une route de navigation importante et, plus l'on s'en rapprochera, plus le trafic sera intense. On se croyait dans les rails de navigation de la Manche ! Nous avons eu presque en permanence sur l'écran radar entre deux et quatre navires à gérer, la majorité se situant dans la même direction que nous.

Il existe ici aussi par endroit, près des caps le long de la côte, des rails que les navires doivent respecter ; le rail descendant est situé le plus près de la côte, le rail montant un peu plus au large. Quant à nous, nous longeons l'extérieur tribord du rail descendant, à un mille environ, pour ne pas nous trouver sur la route des cargos. Mais nous apercevrons malheureusement de nombreux bateaux remontant en provenance du Cap ne respectant pas ces règles et coupant au plus près de la côte !

Lors du point du dimanche matin, nous avons déjà dépassé East London et nous nous sommes assurés, avec un nouveau relevé des prévisions météo, que nous avons le temps de continuer jusqu'à Port Elizabeth au large de laquelle nous passerons en fin de journée pour prendre le virage vers l'ouest. Le vent tombe alors et nous devons remettre le moteur en route sur une mer plus calme. Pas question en effet de jouer les puristes ou les Ayatollahs de la voile ! Nous avons une chance de gagner Mossel Bay avant le changement de temps, ne nous en privons pas. La pression est redescendue à 1012,5 hpa, mais lentement et conformément à nos fichiers Grib.

Pendant ce temps, les températures ont une fâcheuse tendance à baisser ; nous retrouvons le climat rencontré en Nouvelle-Zélande avec de la rosée qui tombe vite le soir. Une petite polaire pour le quart de nuit est la bienvenue.

Au point du dimanche matin 9 janvier, 175 milles ont été parcourus. Outre le climat qui change, nous retrouvons de nombreux fous de Bassan, comme chez nous en Bretagne, volant la plupart du temps en file indienne. Ces oiseaux, que nous n'avions pas vus depuis longtemps, sont vraiment magnifiques avec leur corps blanc, l'extrémité des ailes noires et leur tête jaune.

Mais la décision du jour à prendre est de savoir si on s'arrêtera à Mossel Bay, dernière étape possible avant le dangereux cap des Aiguilles, ce qui serait déjà très bien pour ne pas dire inespéré avant le départ, ou si l'on continuera pour atteindre la presqu'île du cap de Bonne Espérance, car le dernier fichier météo reçu semble permettre ce coup de poker pour autant que l'on atteigne notre destination avant mercredi minuit où il est prévu que le vent se retourne enfin et se mette à souffler fort (30 nœuds) de face et contre courant.

Afin de conserver les deux options possibles, nous naviguerons toute la journée à mi-distance des routes de Mossel Bay et du cap des Aiguilles, reportant au soir la décision définitive avec la prise de nouvelles prévisions.

Arrivés presque au droit de Mossel Bay, il fallait bien se résigner à la prendre, cette décision ! Nos nouveaux fichiers Grib indiquaient que le vent allait enfin forcir d'est, ce qui était tout à fait intéressant pour passer le cap, mais confirmaient le retournement du vent pour le mercredi soir. Alors, j'y va t'y, j'y va t'y pas? C'était trop tentant de continuer et, avec Maryse, nous prîmes donc la décision… de continuer. Ce n'était peut-être pas la décision la plus sage de notre périple, mais nous étions au moins sûrs d'avoir passé le cap avant le retournement du vent, même si celui-ci s'avérait un peu plus précoce ; une fois passés, nous aurions éventuellement à gérer un coup de vent au près serré ce qui n'est tout de même pas extraordinaire sur un tour du monde !

Pour le point journalier du 10 janvier, nous nous trouvons à peu près à mi-distance de Mossel Bay et du cap ; 170 milles ont été parcourus depuis la veille. Mais, inquiétude, on ne voit toujours pas le vent se lever qui nous pousserait bien plus vite vers l'ouest. La pression est remontée à 1013,9 hpa, le coup de vent n'est pas encore pour maintenant. Mais malgré les voiles rétablies, nous sommes toujours obligés d'appuyer au moteur et le problème de l'autonomie commence à se poser ! L'océan est calme, malgré une houle de grande amplitude.

Dans la soirée, nous apercevrons le puissant phare du cap et c'est à 21h54 que nous franchirons sa longitude 10 milles au sud, quittant définitivement l'océan Indien ; l'étrave d'Olympe touchait à nouveau les eaux de l'océan Atlantique avec beaucoup d'émotion à bord !

Nous pûmes alors virer pour entamer notre remontée vers le nord-ouest en direction de la presqu'île du cap de Bonne Espérance. Il ne nous restait plus que 90 milles pour atteindre la destination que nous avions choisie, Simon's Town, sur la côte est de la presqu'île dans False Bay, car un peu plus près que Cap Town et avec plus de chance d'y trouver de la place.

Au petit matin du 11, nous nous apercevrons que la bordure de la grand-voile est coupée le long de l'ourlet sur deux bons mètres ; il est vrai que le nombre de milles parcourus depuis le départ commence à être impressionnant. C'est cependant quelque chose qui doit être facilement réparable.

Dans la matinée, le vent s'est enfin levé et nous permet de couper le moteur pour terminer sous voiles au bon plein. Quel régal cette entrée dans False Bay sous un grand ciel bleu toutes voiles dehors ! Nous appellerons par deux fois le Yacht Club de Simon's Town pour leur demander une place. A l'arrivée, il nous en attribuera une provisoire. C'est à 13h45 que nous pénètrerons dans la marina située derrière les bassins de la marine sud-africaine qui y a établi ses quartiers d'hiver.

Et devinez quoi? A trois milles de l'arrivée, le vent a tourné et c'est avec 25 nœuds que nous avons dû manœuvrer, avec difficulté et avec l'aide de deux navigateurs, pour nous installer dans une place manifestement trop petite pour le bateau.

L'océan Indien et le cap des Aiguilles étaient derrière nous ; sur le papier, le plus dur de ce tour du monde était fait, ce qui ne nous empêche pas de rester humbles pour la suite du parcours. Mais à cet instant, nous étions tout à notre soulagement et à notre joie.

Pour les amateurs de statistiques, nous venions de parcourir 859 milles en 5 jours, trois heures et 55 minutes. Mais quels milles !

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