OLYMPE AUTOUR DU MONDE

LE CAP - RIO

Ou une traversée pépère

 

Nous sommes déjà début février et notre programme nous commande de partir compte tenu du retard pris à Richard's Bay. Les deux escales d'Afrique du Sud ont été bien plus agréables que ce à quoi on s'attendait et il est toujours difficile dans ces conditions de larguer les amarres en se disant qu'il y a une foule de choses que l'on n'a pas eu le temps de visiter.

Nous allons donc quitter le continent africain qui aura été le premier que nous aurons retouché sur la route du retour, pour retrouver l'Amérique du Sud, et plus précisément le Brésil, que nous comptons aborder à Rio de Janeiro. Malheureusement, nous n'arriverons pas à temps pour le carnaval qui cette année a lieu assez tôt, du 17 au 19 février ; mais la ville en elle-même et surtout le cadre de sa superbe baie, la plus belle du monde, méritent à eux seuls le détour.

Nous y retrouverons en outre Françoise et Jean-Marie qui y ont vécu sept ans il y a déjà bien longtemps (!) et qui seront heureux de revoir ce pays qu'ils connaissent bien et de nous aider à le découvrir. C'est d'ailleurs là-bas que le captain avait fait leur connaissance en 1977 (il y a donc bien longtemps…) lors d'un voyage d'affaires pour le groupe dans lequel il travaillait avec Jean-Marie venu créer la filiale brésilienne.

La route la plus rapide n'est pas la plus courte

La route directe suivant l'orthodromie (arc de grand cercle du globe reliant les ports de départ et d'arrivée) donne la distance déjà respectable de 3270 milles nautiques, soit 6056 km. Mais l'Atlantique sud a la particularité de posséder en cette saison un immense anticyclone en son centre dans lequel il ne vaut mieux pas venir s'engluer sous peine de rester de longs jours encalminés.

La tactique commande donc de faire d'abord route au nord-ouest pendant une bonne semaine de navigation, durant 1200 milles environ, de manière à tenter de rejoindre les alizés de sud-est qui commencent à souffler entre les 20ème et 23ème degrés de latitude sud et, seulement après, de gagner dans l'ouest jusqu'à la longitude 30° ouest avant de piquer sur le port de destination.

Nous positionnerons donc un way point à 1200 milles du Cap dans le 300° vrai en se disant qu'on aviserait ensuite en fonction de la météo. La distance de cette route théorique est alors de 3567 milles nautiques, soit 6606 km, ce qui en fait la plus longue étape de notre tour du monde.

Nous serons seuls à bord ; Maryse, dont l'évolution nautique de ces derniers mois surprend le captain, la virtuose du tangon comme la surnomme Michel, avait émis le souhait que nous fassions cette longue étape tous les deux. Elle prend désormais un réel plaisir à être en mer au point que la question du retour commence à se poser…

Le départ et les premières heures

C'est le dimanche 5 février à 11h, après que l'anémomètre ait pu être remis en place en tête de mât, que nous larguons les amarres de la marina de Simon's Town, aidés par Jean-Pierre et Jane qui prennent des photos et Olivier. Le vent est encore faible et nous n'avons pas l'intention de traîner, voulant profiter de cette accalmie, rare ici, que nous attendons depuis plusieurs jours.

Nous tirerons quelques bords pour sortir de False Bay, ce piège à vent, et gagner Cap Point et le Cap de Bonne Espérance à laisser sur tribord. Le temps est beau, le vent est orienté sud-est ce qui nous permet de passer les deux caps vent de travers à moins d'un mille de la côte, entre celle-ci et Bellows Rocks sur lesquels la mer déferle comme nous l'avions repéré lors de notre visite à terre du Cap. Malgré que le temps soit au beau et l'océan apparemment calme, ça remue devant les caps, les vagues étant désordonnées et Maryse, qui ne prend plus de médicament, ressent le mal de mer qui lui passera le lendemain.

La péninsule vue de la mer est aussi belle que de terre ; on passera devant la masse rocheuse de Cap Point permettant de mieux appréhender la position du nouveau phare, puis devant les trois "doigts" du Cap de Bonne Espérance à sa gauche ; dans le lointain, on aperçoit Table Moutain et son sommet caractéristique.

Vers 15h, nous mettrons cap au 300°, génois tangonné et grand voile en ciseaux ; la terre d'Afrique s'éloignait inexorablement dans le sillage d'Olympe pendant que nous gagnions le grand large, direction l'Amérique du Sud.

Une première semaine sans histoires

Nous aurons cependant une mauvaise surprise la première nuit ; le vent ayant tourné au sud, la température est en chute libre : 16° avec une forte humidité et une abondante rosée recouvrant le pont. Pantalons, chaussettes et polaires sont de retour !

A part le second jour où nous dûmes faire du près, le vent ayant tourné à l'ouest, la remontée vers le nord-ouest a été faite entre vent arrière et grand largue, génois tangonné et grand-voile en ciseaux ; les moyennes journalières seront comprises entre 150 et 190 milles, le vent ayant forci les 3ème et 4ème jours, la mer devenant forte mais de l'arrière ; après l'océan Indien, l'Atlantique nous paraît bien confortable !

Dans la nuit du 11 au 12, petit évènement : nous retrouvons les longitudes ouest que nous ne quitterons plus jusqu'à notre retour en France. C'est dans la journée du 12 février, jour anniversaire du second (on ne dit plus du mousse…) une semaine après le départ, que nous atteindrons notre way-point situé sur le 23ème parallèle sud conformément à notre plan de marche ; mais l'analyse des fichiers météo laisse apparaître une baisse généralisée du vent, même plus au nord. Il ne paraissait donc pas utile de continuer vers le nord-ouest en s'éloignant de la route pour chercher un alizé plus soutenu et nous virâmes en direction de l'ouest.

Mais ce qui nous surprenait depuis le départ, c'etait l'absence de toute vie animale, à part deux poissons volants retrouvés un matin sur le pont ; c'est en tout cas la première fois que nous n'apercevions aucun oiseau de mer depuis des jours.

Des records de lenteur

La deuxième semaine est entamée et au point du 13 le matin, 174 milles sont parcourus lors des dernières 24h ; mais nous savons que nous avons mangé notre pain blanc : le vent va tomber inexorablement. Nous rentrons la grand voile et gréons le ballooner tangonné en opposition au génois ; cette grande voile légère est bien plus efficace que la grand-voile en ciseaux au vent arrière.

Le 14, la prise de nouveaux fichiers météo montrent qu'un peu de vent plus soutenu est prévu à partir du 20 entre les 20ème et 21ème parallèle sud. Nous décidons donc de quitter notre route théorique pour remonter 220 milles plus au nord chercher ce vent. Les performances journalières chutent alors à un niveau encore inconnu pour Olympe : 86 milles le 15, 107 milles le 16, 101 milles le 17, 118 milles le 18 ; et encore ces distances sont-elles parcourues sur l'eau, mais comme notre cap est désormais éloigné de la route, les distances de rapprochement sont encore plus médiocres avec respectivement 75, 89, 90 et 95 milles.

Un équipage philosophe…

Il y a encore quelques mois, le captain aurait assez mal vécu cette lenteur ; mais on est encore bien trop loin pour utiliser le moteur. Et puis nous étions préparés psychologiquement à cette situation fréquente sur cette route.

Est-ce aussi le fait que le retour approche et que le temps en mer est maintenant compté ? En tout cas, nous nous sentions bien et heureux sur l'eau qui avait en outre l'avantage d'être calme et aucun de nous deux n'a laissé entrevoir le moindre signe d'impatience. Qui plus est, le congélateur étant bien rempli, les équipets et les coffres de la cambuse également, on avait largement le temps de voir venir.

Et puis, pour se donner des points de repères, nous nous étions fixé comme des étapes que nous arrosions, modérément s'entend, à chaque fois que l'une d'entre elle était atteinte :

 Milles restant à parcourir Etapes
 3000 Un compte rond
 2675 Le 1/4 du trajet
 2567 1000 milles parcourus
 2378 Le tiers du trajet
 2000 Un compte rond
 1783 La mi-parcours
 1567 2000 milles parcourus
 1189 Les deux tiers du parcours
 1000 Un compte rond
 892 Les trois quarts du trajet
 567 3000 milles parcourus
 0 L'arrivée!


Lecture, musique, contrôles techniques, navigation, réglage des voiles (peu…), essais de pêche par Maryse (en vain…), cuisine (même les crêpes de la chandeleur !), apéros, repas, siestes, quarts de nuit, rédaction du site, tri et classement des photos, contemplation de la mer, des levés et couchers de soleil et des ciels étoilés magnifiques, analyses météo, mots croisés, sudoku, tricot, jeux sur ordinateur, on n'a pas le temps de s'ennuyer.



Le vent revient !

Conformément aux prévisions, le vent va revenir entre les 20ème et 21ème parallèles où nous montions depuis quatre jours ; d'abord modérément le 19, puis aux alentours de 15 à 16 nœuds oscillant entre l'est et le sud-est les jours suivants. Pas de quoi battre des records de vitesse, par vent arrière qui plus est, mais nous pouvons conserver l'allure avec génois et ballooner que nous avons établie depuis une semaine déjà. Cette troisième semaine commençait donc bien.

Les moyennes journalières remontaient gentiment : 132 milles le 19, 137 milles le 20, 152 milles le 21, 165 milles le 22, 160 milles le 23 et 172 milles le 24.

En fin d'après-midi de cette dernière journée, nous passâmes à 27 milles dans le sud de l'île Trindade située à 800 milles des côtes brésiliennes ; elle se détachait nettement sur l'horizon grâce à son altitude de 600 mètres, avec une jolie forme assez symétrique et deux gros rochers de part et d'autre semblant monter la garde. C'est toujours plaisant d'apercevoir une terre après de longues journées de solitude dans un désert d'eau et ça permet de conforter sa position.

Dans la nuit du 24 au 25, nous croiserons à 3 milles sur l'arrière notre premier bateau depuis longtemps ; difficile de savoir ce que c'était, probablement un bateau effectuant la liaison avec l'île de Trindade ou un gros bateau de pêche.

Nous franchirons également le 30ème degré de longitude ouest à partir duquel nous pouvons commencer à obliquer vers le sud-ouest en direction de notre destination ; cependant, l'analyse du dernier fichier météo nous convainquit de poursuivre encore plein ouest jusqu'au dimanche 26 pour bénéficier d'un meilleur angle au vent qui virera alors au nord et profiter d'une accalmie pour dégréer le ballooner, ce qui n'est pas une mince affaire à deux. Ce sera fait le 25 après 11 journées d'utilisation non stop.

La troisième semaine se terminera ainsi avec 152 milles le 25 et 148 milles le 26, le vent n'étant pas à la hauteur de nos espérances ni à celle des prévisionnistes météo.

Des problèmes techniques limités

Même du côté des ennuis techniques habituellement rencontrés, ce fut un grand calme ; nous n'aurons "que" deux soucis un peu ennuyeux : une turbine d'eau de mer à changer sur le groupe électrogène, la troisième depuis la Nouvelle-Zélande, probablement dû à un désamorçage du filtre d'eau de mer lors d'un fort roulis intempestif. Puis le pilote automatique qu'il fallut surveiller en permanence à partir de la mi-parcours, car ce brave et important accessoire avait décidé de faire grève sans préavis à plusieurs reprises en s'arrêtant de fonctionner. Il fallait alors repasser en manuel et le redémarrer ; mais surtout, à la fin, il fallait presque en permanence accompagner la barre de légers mouvements rotatifs pour qu'il ne s'arrête plus. Le diagnostique est sans doute identique à celui de notre première traversée de l'Atlantique (décidément, il ne semble pas aimer l'Atlantique, pépère !), problème de contacts des charbons qu'il va falloir nettoyer. Donc à priori rien de grave.

Une fin de parcours tranquille

Le début de la quatrième semaine sera dans la continuité de la précédente, mais ça commence à sentir l'écurie ! Dans la journée du 28, nous croiserons trois bateaux, un militaire et deux pétroliers qui semblaient lèges. Et puis en fin d'après-midi, nous pénètrerons dans l'énorme champ pétrolier brésilien au large du cap Frio : un vrai champ de mines constitué des multiples plates-formes d'extraction pétrolière et des bateaux effectuant la navette entre elles et la côte. L'image radar est d'ailleurs édifiante. Pour ce qui est des plates-formes, pas de difficulté pour les gérer car ce sont des cibles fixes à condition de ne pas les confondre avec un bateau en mouvement et réciproquement…


C'est au petit matin du 29 février que nous franchirons le cap Frio, reprenant ainsi contact avec un continent ; il faudra terminer la traversée aidés du moteur dans un vent mollissant pour arriver de jour et ne pas manquer le spectacle de cette entrée de la baie de Guanabara, plus connue sous le nom de baie de Rio, dominée par le Pao de Açucar (Pain de Sucre) à l'extrémité est de la plage de Copacabana, et le Corcovado, le Christ rédempteur, au sommet en arrière plan de la ville.

Dans le goulet d'entrée de la baie, en face de la pointe de Santa Cruz et de sa forteresse, nous fûmes étonnés par la grosse houle soulevée par la rencontre des faibles vagues du large et le courant de sortie des eaux douces de la baie. D'ailleurs, depuis quelques heures, nous avions pu constater le changement progressif de la couleur de l'océan, virant du bleu vif au marron soutenu !

Et puis, passé ce goulet, suivi par un gros transporteur de gaz, le plan d'eau s'est calmé comme par magie. Il ne nous restait plus qu'à passer la pointe Jurujuba et nous enfoncer au fond de la baie du même nom pour aller mouiller face au Clube Naval Charitas. Nous avions choisi ce site plutôt qu'un des mouillages côté Rio réputés peu sûrs pour les bateaux de passage.

Il était 16h40 en heure locale ce 29 février ; nous venions de parcourir 3654 milles nautiques (6767 km) en 24 jours et un peu plus de neuf heures à la modeste moyenne de 6,24 nœuds. Nous espérions en partant arriver avant la fin du mois : opération réussie, mais heureusement que cette année est une année bissextile !

Et quelle récompense, cette traversée confortable après les assauts de l'océan Indien !
Bienvenue, Olympe, au pays de la Samba…

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